MAMITA : " Buenas noches mis princesas. "
LULLAH : " Mamita, dime, Papa revient demain ? "
La petite fille, les joues gercées par les larmes leva ses grands yeux rougis vers sa grand)mère maternelle, l'implorant du regard. Malgré son jeune âge, elle a compris qu'aujourd'hui, ce jour risquait de chambouler toute son existence &, malgré la joie de voir dormir paisiblement le nourrisson à côté d'elle, son petit coeur saignait encore intérieurement, faisant le deuil de sa mère morte en couches.
Doucement, presque imperceptiblement, sa grand-mère, une vieille femme à la peau burinée par le soleil de Cuba, secoua la tête, les yeux pleins de larmes, réalisant à son tour qu'après avoir perdu sa fille unique, son gendre venait d'abandonner deux petites filles en bas âge. A son âge & avec ses faibles revenus, il allait lui être bien difficile d'assumer la lourde tâche que celle d'élever des enfants.


S'occuper de la maison, prendre soin des quelques animaux de sa Mamita, traire Guapa, leur petite chèvre, faire du porte-à-porte pour essayer de vendre à des voisins un peu plus fortunés leur maigre récolte d'oeufs & de lait de chèvre. Pendant ce temps, sa grand-mère travaillait sur les marchés, vendant ce qu'elle produisait des ses vieilles mains tremblantes, quelques broderies ou paniers en osier. La vie n'était pas des plus faciles mais les Calderón n'avaient rien à envier à leur entourage qui, eux aussi, vivotait du mieux qu'il pouvait.
Obligée de mûrir plus vite, de prendre les choses en main & de devenir une vraie ménagère mais aussi une mère de substitution pour sa petite soeur, Rosa, Tallulah n'eut pas la chance de profiter d'une enfance insouciante & paisible.
Sa vie était rythmée par les dimanches à la messe, la vie des animaux qu'elles possédaient & les quelques matinées d'école que la jeune fille & sa soeur pouvaient se permettre, de temps en temps en semaine.
Apprendre à lire, à écrire pour pouvoir s'instruire & fuir le plus vite possible. D'abord en ayant un but bien précis en tête, celui de retrouver leur père mais ensuite pour fuir une triste réalité qu'était l'île affamée de Cuba, aux proies à des Américains qui profitaient plus des femmes qu'ils n'essayaient d'améliorer la vie des habitants.



LULLAH : " Rosita Mia, plus vite, on va être en retard ! "
Comme toutes bonnes Cubaines qui se respectent, malgré leurs soucis, les soeurs Calderón oubliaient tous les tracas grâce à la danse & avaient le coeur léger quand elles se trémoussaient sur les rythmes endiablés de la salsa. D'abord ce ne fut qu'un simple passe-temps puis ce devint une évidence alors que les compliments pleuvaient & qu'elles se rendaient compte du bienfait de ce hobby. Grâce à leur beauté pure & à leurs déhanchements, elles se firent rapidement un nom dans quelques cabarets de La Havane, attirant de plus en plus de curieux. Petit à petit, les quelques pièces que les amateurs daignaient leur donner à la fin de leur danse, se transformèrent en billets & chaque jour, elles gagnèrent un peu plus. Ayant gardé cette activité secrète jusque là, elles finirent par créer une cagnotte assez conséquente qu'elles offrirent à leur Mamita.

ROSA : "Mamita, tienes una sorpresa ! "
Fières de leur coup, les deux soeurs exhibèrent fièrement les pesos amassés lors de leurs nuits dansantes, les agitant sous le nez de leur grand-mère adorée.
MAMITA : " Estais locas mis pobres chicas ! "
A la place de la fête si attendue, elles n'obtinrent que des remontrances, leur grand-mère leur assenant d'arrêter tout de suite de s'adonner à des pratiques si honteuses. Humiliées, elles se retirèrent dans leur chambre, ayant eu l'impression d'être prises pour des filles de joie.
Alors que Tallulah fut marquée au fer rouge par cet évènement & retint la leçon de sa grand-mère à propos des hommes, se souvenant sans mal de la lâcheté de son père, Rosa, elle, décida d'aborder les choses autrement.
Elles avaient été pauvres & malchanceuses toute leur vie, il était grand temps que cela change. Les sacrifices n'avaient été, jusque là, pas aussi payants qu'elles ne l'espéraient & la cadette ne comptait pas gâcher sa jeunesse & sa beauté. Tallulah choisit la voie de la raison & continua à se méfier des hommes comme de la peste alors que Rosa, elle, embrassa sa nouvelle vie & saisit chaque occasion qui se présenta à elle, protégeant comme elle le pouvait sa soeur de leurs partisans en se dévouant à sa place.



ROSA : " Los Angeles, la ciudad donde los sueños se realizan ! "
Des étoiles pleins les yeux, après des mois & des mois de dures économies, les deux Cubaines avaient finalement réalisé la première étape de leur rêve : s'enfuir. Elles étaient à présent en Amérique, l'endroit dont tout le monde parlait ! La ville était magnifique, immense & grouillait d'activité. Allaient-elles réussir à se faire une place ici ?
Malgré leur fort accent hispanique, leurs courbes avantageuses & leur numéro bien huilé leur permirent vite d'obtenir un petit job dans un cabaret où elles se mirent doucement à graver les échelons. Elles habitaient toujours dans un taudis, continuaient leur routine : Rosa les hommes & Tallulah la piété.
Entourées par toutes ses richesses, ses belles voitures, ses femmes sublimes... Que pouvaient-elles espérer de mieux ?
Toujours prise de son symptôme de kleptomanie, Lullah tentait de rester discrète, d'espacer ses prises &, malgré le refus catégorique de Rosa, continuait d'envoyer une bonne partie de sa paie à sa Mamita, restée seule, là-bas...