Je suis née à Santa Monica, dans le foyer Snicket. Mon père était déjà pasteur et ma mère était l’archétype de la bonne ménagère de l’époque. Ma bonne, Aibileen, m’a souvent raconté que j’étais curieuse et malicieuse. La curiosité s’est transformé en soif d’apprendre et de comprendre le monde qui m’entourait en grandissant. Mon grand frère était âgé de cinq ans quand je suis né et ma mère passait plus de temps à comparer les capacités de ses enfants plutôt qu’à partager des moments avec nous. Aibileen s’occupait mieux de moi et j’étais plus rassurée avec elle. Ma mère préférait donner les punitions elle-même et c’était bien les seules occasions qui se présentaient pour partager quelque chose, si l’on peut dire. Mon père restait plutôt effacé et évitait toute sorte de conflit. En revanche, je recevais beaucoup d’amour et d’attention de sa part. J
Je passais une enfance heureuse, mise à part la relation compliquée avec ma mère. Je travaillais bien à l’école et étais naturellement curieuse. Je lisais beaucoup, écrivais aussi pas mal. Je reçus une machine à écrire pour mes treize ans et ce fut la révélation. Je voulais écrire. De simples nouvelles au départ, puis un journal intime qui exposait clairement mon dégoût envers certains faits de la société ou bien ce qui, au contraire, me réjouissait. Ces écrits reflétaient parfaitement mon envie d’indépendance. Aibileen m’encourageait en secret. Ma mère n’était au courant de rien et je l’avais mise devant le fait accompli lorsque, au lycée, je fus employée au cinéma de Los Angeles. Je ne vendais que les bonbons et les tickets, mais je m’en fichais royalement. Je passais du temps dans le bâtiment que j’adorais et j’étais payée pour cela. Comme je vivais chez mes parents, je pouvais me mettre de l’argent de côté. De toute façon, même si j’avais voulu quitter le cocon familial, ma mère m’en aurait empêché, et pour cause… Elle souhaitait que mon départ soit synonyme de mariage, mari, bébé, peut-être même. Or, dans ma tête, construire une famille n’était pas du tout ma priorité.
Les garçons n’avaient jamais été un grand centre d’intérêt pour moi et je ne les intéressais pas non plus. Comme je savais que cela ne plairait pas à ma mère, j’avais même dû me cacher chez Aibileen le temps du bal du lycée, parce que je n’avais pas osé dire à ma mère qu’aucun garçon ne m’avait invitée. Heureusement, Maximilian, mon cadet d’un an seulement, et moi nous entendions à merveille depuis toujours. Nous étions tous deux très proches de notre bonne et notre complicité n’avait cessé de grandir en même temps que nous. Même si ma mère passait son temps à me comparer à ses deux fils parfaits, je me moquais de tout. Max et moi étions comme deux doigts dans la main et je me sentais bien avec mon caractère. Indépendante et légèrement féministe sur les bords, les discussions avec l’ainé de la fratrie était souvent pimentée. Mon père devait calmer le jeu et nous demandait tous les samedis soirs d’essayer de bien se comporter le lendemain, à la paroisse, où nous assistions à son serment tous les dimanches matins.

À la mort du propriétaire du cinéma,j’héritais de l’établissement. Je n’avais jamais imaginé cela mais sa lettre était remplie de compliments à mon égard. Pour lui, je me devais de prendre soin du cinéma et je m’y plaisais tellement que tout cela devint pour moi une passion qui me permettait de vivre, en plus. Comme j’aimais toujours écrire, j’envoyais mon curriculum vitae au journal de la ville. Comme je n’avais aucune expérience dans le domaine, je ne pus décrocher que la rédaction d’une rubrique dédiée aux ménagères pour leurs soucis de nettoyage ou encore leurs problèmes conjugaux. Je m’amusais à donner des réponses et souvent, je ne faisais que retranscrire les conseils que m’avait donné mon père pour aider les femmes. Il avait bien plus d’expériences que moi quand il s’agissait d’aider son prochain. Ironie du sort, les questions les plus récurrentes restaient un mystère pour mon père : les tâches ménagères. Et pour moi qui étais pour l’émancipation de la femme, il n’était pas toujours facile d’assumer cette rubrique… Skeeter est jamais loin, même si en bon petit soldat, Hedda fait bien son travail…