1918.

« Jonas ! Papa est rentré ! » Mon père. Le modèle. Le héros. Du haut de mes quatre ans j'accourus à la porte d'entrée où mon père se tenait là, amaigri, fatigué mais souriant. Je ne serai pas un orphelin de père. La guerre n'aura pas pris mon père. Je me lança dans ses bras et accrocha son uniforme en sentant son odeur. A quatre ans je connaissais un bonheur sans faille. « J'espère que tu as été sage mon grand ! » Je souriais, les larmes qui perlaient à mes yeux, de joie. Cette année je fêterai Noël avec mon père, on serait, ma mère, mon père, mon grand frère et moi autour de la cheminée et j'ouvrirai mes cadeaux sous le regard bleu de mon père. « Je suis toujours sage ! » Il me reposa par terre et j'accourus dans ma chambre pour lui montrer mes derniers jouets. Mon frère ainé était dans sa chambre et je le voyais qu'il n'avait pas cette même joie sur mon visage. Il a huit ans, et on a beau s'entendre, ils nous arrivent de nous chamailler. En redescendant j'entendis mon père dire à ma mère : « Il ne reviendra pas. » Je ne savais pas de qu'il parlait, mais il avait suffit de voir par la fenêtre notre voisine, et meilleure amie de ma mère fondre en larmes. Son mari ne reviendrait jamais, tombé en France. C'était le parrain de mon frère ainé, et il l'adulait. Le soir, on mangeait pour la première fois ensemble, réunis de nouveau. J'étais heureux.

1939

« Tu n'es plus mon fils. » Cette phrase j'aurai aimé ne jamais l'entendre. J'étais devant mon père qui était dans une fureur monstrueuse. J'avais vingt-cinq ans et j'avais été appelé à l'armée. Il aurait aimé que je participe à cette nouvelle guerre qui s'annonçait, et moi j'avais refusé. J'avais réussi à faire « sauter » cette demande comme j'étais employé dans un milieu politique. On m'avait dit que je pouvais m'en passer et c'est ce que j'avais fais. Je voulais protéger ma famille, j'allais être père et j'étais marié depuis trois ans. Ca, mon père ne le comprenait pas. Non, pour lui ce refus d'engagement était une trahison en sa personne. Ma mère était assise à table et me regardait avant de baisser le regard. « Tu ne comprends pas que je veux protéger ma famille ? » « On va à la guerre pour protéger ceux qu'on aime ! On ne reste pas derrière un bureau à remplir des papiers ridicules ! » Je serrais les mâchoires, voulant éviter des propos que je regretterais par la suite. Mon père n'avait jamais compris mon ambition à devenir un politicien. Je n'avais que vingt-cinq ans et je gravissais les échelons, mais ça il s'en moquait. Quand je lui avais dit que je voulais travailler en politique il m'avait disputé en disant que je deviendrai moi aussi un « grand con ». « C'est sur, tu préférais que moi aussi je casse tout ce que je trouve en chemin et passe la nuit en cellule de dégrisement ? » Je faisais référence à mon ainé qui à dix-huit ans était parti de la maison familial en claquant la porte en disant qu'il nous détestait. Son prénom n'avait plus le droit d'être mentionné sous le toit. « Jonas... » « La prochaine fois que tu parles de lui tu prends toi aussi la porte ! » Je ne comprenais pas ce flot de haine que mon père avait à mon égard. Ce n'était plus un héros de guerre comme je le mentionnais souvent à mes amis durant mon enfance et mon adolescence. Non, il n'était qu'un homme qui passait ses nerfs sur sa femme et sur moi. « Ce que tu comprends pas c'est que je ne deviendrais jamais comme toi ! Je ne veux pas aller dans ce futur conflit, et je l'ai décidé ! » « Tu n'es qu'un lâche ! » « Je serai là pour mon fils ou ma fille et je resterai avec pendant les premières années de sa vie, pas comme toi ! » Finis-je par crier avant de claquer la porte de la maison et de prendre la direction de chez moi, de mon nouveau chez moi. Je n'ai jamais revu mon père.



1944.

« Pourquoi fais-tu ça ? » Je regardais mon frère ainé. On était dans une ruelle et il était recherché par les autorités depuis quelques temps. J'avais entendu dire qu'on allait le coincer prochainement et je n'avais pas pu m'empêcher de le rencontrer bien avant cet acte afin de tenter de le raisonner. « Ce ne sont pas tes affaires. » « Tu es mon frère ! » « Je n'ai plus de famille depuis mes dix-huit ans ! » Cette phrase me poignarda en plein cœur. Je n'aurai jamais cru que mon ainé soit autant rancunier mais d'un côté, il fallait se rendre à l'évidence : mon père avait réellement détruit la famille. J'entendais au loin les sirènes des voitures de police et je restai un moment seul avec les palpitations de mon cœur. Oui j'avais peur. J'étais une étoile montante au domaine de la politique et avoir un frère qui était du côté du mal pouvait me porter préjudice. Il restait calme et me fixait. « J'espère que ce n'est pas toi qui les a appelé ! » « Je n'aurai jamais fais ça tu le sais ! » « Ce que je sais c'est que tu es de leur côté ! » J'avalais difficilement ma salive. Je venais juste de remarquer une cicatrice au niveau de sa main gauche et je me demandais d'où elle était venue. Devant moi se tenait un homme qui n'était que l'ombre de mon frère ainé. « Tu sais que tu peux encore changer... » « J'aime ma vie telle qu'elle est à présent et bientôt on entendra parler de moi ! » Il commença à marcher en direction d'une nouvelle ruelle et je restai statique. J'étais apeuré, mais j'essayai d'en montrer rien. « Attends... » Il s'arrêta pour se retourner une dernière fois. « Si tu as la mission de me tuer, tu le ferai ? » A son sourire au coin et reprenant sa marche, j'en conclus que oui, il me tuerait s'il devait le faire.

1949

Dans la chambre conjugal, j'étais en train de faire mon nœud de cravate quand ma femme entrait. J'étais à présent adjoint du maire et j'avais une très bonne réputation. Cette réputation je craignais qu'elle ne tombe à cause de mon frère. Personne ne savait que finalement l'adjoint du maire avait un membre de sa famille qui était un gangster. « Jonas, est-ce que je peux te parler un instant ? » J'acquiesçai de la tête en continuant de faire mon nœud. Elle avait l'air mal à l'aise et je me demandais ce qui pouvait bien la mettre dans cet état. On avait jamais eu de grandes conversations. On représentait la famille parfaite aux yeux de tous. « Je voudrais bien travailler... » Je crus qu'elle plaisantait, je ne pus m'empêcher de rire avant de voir son air très sérieux et ses joues s'empourprer. « Je ne vois pas pourquoi tu veux travailler. Tu as tout ce qu'il te faut non ? Tu dois déjà t'occuper des enfants. » « C'est que je veux quelque chose qui soit vraiment à moi. » « Non, tu ne travailleras pas. Pour qui je vais passer ? Pour un homme qui fait travailler sa femme ?! Non. » Je passais ma veste sur les épaules avant de regarder le cadran de ma montre. « Je vais être en retard. Si tu ne sais pas quoi faire, invite tes amies à prendre le thé. » Je déposais un baiser furtif sur ses lèvres avant de descendre les escaliers et de prendre ma mallette. En claquant la porte je soupirai légèrement. Je pris la voiture et ne pris pas la direction de mon lieu de travail de suite. Le détour était prévu comme tous les mardis et vendredis. Je claqua la porte et je gravis les marches d'un perron, regardant derrière moi si je n'étais pas suivi. La propriétaire ouvra et je fis un sourire. « Tu m'as manqué. » Je déposa un baiser passionné sur ses lèvres. Image de la famille parfaite aux yeux de tous, mais loin d'être un mari fidèle, ce que personne ne sait.