Mon nom doit vous étonner, il n’a pas vraiment une consonance américaine n’est-ce pas ? Ne cherchez pas une nuance de Love, ça ne m’irait qui plus est, absolument pas. Non regardez du côté de la grande Greta Garbo, son second prénom était Lovisa. Mon père bien que marié, bien qu’ayant déjà eu mon frère et ma sœur, tomba follement amoureux de celle que le détestable Mayer surnommait en 1924 dès son arrivée à Los Angeles : la grosse vache nordique. Cet homme a toujours manqué de goût, je le hais de tout mon cœur et je reviendrai tout à l’heure sur mes raisons qui sont nombreuses et légitimes. Subjugué disais-je par la grande Garbo, que dis-je obsédé parfois même par elle, mon père a voulu lui rendre hommage en me donnant son nom. J’y ai parfois vu quelque chose de malsain mais surtout de très dur à porter ce prénom-là. J’étais l’ombre permanente de l’unique Garbo. Dur, parce que mon père a toujours voulu me pousser à lui ressembler. Il voulait de moi que je devienne une comédienne aussi célèbre, c’était son rêve mais il a fallu qu’il y renonce. Désormais, celle qu’il écoute c’est moi, les rôles se sont inversés. Mais je dois dire que j’ai hérité de son autorité, cela est certain. Quant à ma mère, vous devinerez facilement qu’avoir dû se plier au nom choisi par mon père, ce n’était pas évident. Elle a été très vite jalouse de cet amour inconditionnel bien que platonique que je pouvais représenter par le seul fait de m’appeler par mon prénom. Avec le temps, j’ai pu la comprendre mais pendant mon enfance, imaginez seulement l’enfer que j’aie pu vivre, entre un père écrivain, sévère envers sa fille mais faible avec d’autres, et ma mère, qui me haïssait davantage de jour en jour.

1949, banque de L.A

La directrice de la plus grande banque de la ville rentrait dans son bureau pour la première fois. Elle avait par des coups bas, des machinations, des alliances obtenu l’unanimité du conseil d’administration. Elle sourit machiavéliquement repensant à toutes les griffes qu’elle avait pu sortir pour obtenir ce siège prestigieux. Elle avait dû faire des rondes-jambes au maire de la ville, elle avait dû coucher avec un actionnaire, elle avait fait chanter un autre pour obtenir son vote, elle avait enfin ruiné la réputation d’un dernier en se servant de la presse pour s’assurer la présence d’un allié de poids. Elle avait supplanté, elle avait surtout réussi à faire prendre la porte au directeur en place depuis plus de vingt ans. Et ça aussi, ce n'était pas rien. Elle était riche et sa banque à lui n’avait guère plus la confiance des clients, ni des véreux qui avaient pu jusque-là l’aider. On l’avait laissé tomber maintenant. Il n’avait plus d’importance, vieux et pauvre, à quoi pouvait-il servir ? Lovisa n’avait pas laissé passer sa chance, elle avait juré de fournir les apports nécessaires à condition qu’il s’en aille et lui laisse la présidence. Il avait accepté mais il lui fallait obtenir donc l’adhésion du conseil d’administration. L’ancien dirigeant avait cru pouvoir la déstabiliser, pensant qu’aucune femme ne pouvait parvenir à convaincre un monde d’hommes. Ce en quoi il avait eu grand tort. Après avoir souri, Lovisa sentit ses lèvres s'étirer davantage, au point de laisser échapper un petit rire victorieux. Elle s’élança vers ce siège et une fois bien assise, elle mit ses bras derrière la tête avant de se tourner vers l’immense fenêtre qui surplombait la ville. D’ici la jeune femme avait l’impression de trôner telle une reine et de posséder Los Angeles. Ce n’était pas le cas mais malgré tout, en ce jour si spécial, elle devenait quelqu’un avec qui il allait falloir compter. Elle était à la tête d’un empire d’argent que l’on ne pouvait pas bouder, et d’ailleurs oui, on ne la bouderait plus et surtout pas Louis Mayer. Son argent elle allait s’en servir pour placer notamment son père à la tête de la Maison Metro-Goldwyn. Les choses étaient dites ! Elle avait une revanche à lui faire prendre ! Il méritait bien plus son poste que le vieux Mayer.

1933, Metro-Goldwyn-Mayer studio

La petite fille était assise sur la chaise du producteur lorsqu’un homme tiré à quatre épingles, la saisit assez violemment par le bras.

- Que fait cette mioche ici ? Schary, venez prendre votre gosse, elle gêne le tournage. Vous n’êtes que scénariste ici, vous ne pouvez pas prendre vos aises et votre famille encore moins !
- Je ne faisais que regarder les belles robes de Vivien.

Sur le plateau se trouvaient Vivien Leigh, et Clark Gabbe, les héros d’Autant en Emporte le Vent.

- Oui vraiment la petite ne nous embêtait pas monsieur Mayer.

Malgré la prise de défense de la jeune actrice pour elle, Lovisa dut faire mine de partir avant de pouvoir épier le tournage, accroupie derrière un pilier. C’était la première altercation qu’elle avait eue avec cet homme qu’elle allait apprendre à détester plus le temps passait et il y avait vraiment de quoi.

1941, rues de Los Angeles.

Lovisa avait suivi ses amis comédiens reconnus pour donner des coupons de rationnement aux plus démunis, chacun faisait ce qu’il pouvait en ces temps troublés. Même à seize ans, la jeune femme comprenait très bien ce que signifiait la guerre, elle s’était portée tout de suite volontaire afin d’aider à sa petite échelle. Elle était déjà froide mais vivre dans une famille inexistante, et l’envoi dans un pensionnant n’avaient fait que la modeler comme une statue de pierre. Lorsqu’elle rentrait chez elle, elle était encore une fois dans un monde très guindé mais où le romanesque régnait en maître. Partout, il y avait des feuilles, des feuilles raturées que son père jetait toujours par-dessus lui, quand il était insatisfait de son travail, ce qui arrivait très souvent. Et bien sûr Lovisa n’avait jamais le droit de l’interrompre, elle n’avait pas l’autorisation de briser cette bulle d’imagination qui était partout. Et on ne pouvait pas lire avant l'accomplissement de son travail, ce qui pouvait prendre parfois des mois et des mois. Quant à sa mère, moins elle la voyait, mieux c’était malheureusement. Alors oui, c’était en compagnie de ses quelques amis, que Lovisa préférait sortir. En étant bénévole dans un dispensaire et en offrant des tickets pour le rationnement, elle avait l’impression d’être quelqu’un, mais tous les regards convergeaient vers ses amis. Elle était riche, mais son nom qu’était-il ? Elle n’était pas une Olivier, une Astaire, une Leigh ou une Garbo justement. On la remerciait mais on la regardait avec beaucoup moins d’admiration, voire aucune. A cette minute, elle ne fut pas jalouse mais il était peut-être temps de se mettre un coup de pied aux fesses ! Il ne tenait qu’à elle que son nom soit connu ou plutôt reconnu. Son père n’était que l’ombre de Mayer, pour ne pas dire son esclave. Il le faisait travailler comme tel tandis que lui ne faisait plus grand-chose …

Fin 1945, Metro Goldwyn-Mayer studio

- Mayer, à cause de la guerre, nous devons nous ouvrir à d’autres horizons, les comédies musicales seront parfaites. Les gens aiment le music-hall et peut-être que nous arriverons à concurrencer Broadway. C’est un bon filon.

Lovisa ne perdait pas une seule miette de ce que les deux créateurs de MGM pouvaient se dire. Elle sentait que le temps était venu de faire reconnaître son père. Lui était trop faible, trop timide pour pouvoir tenter s’imposer. C’est elle qui le soumettrait à ce poste ! Comment pouvait-il accepter être un auteur de seconde zone toujours aux ordres de ce Mayer de malheur ? Elle le forcerait à aller de l’avant, elle le forcerait à se frayer un chemin avant de se forger elle-même sa propre route. Elle avait tout fait pour, elle avait engagé un ancien financier du pays et pas des moindres, un vrai monstre sacré de la finance, pour lui apprendre les rouages du métier. Sa retraite à lui serait à l’œil avec elle. Un apprentissage qui durait déjà depuis deux ans, elle était patiente et justement Lovisa avait bien du mérite, puisqu’elle n’avait aucun amour particulier pour les choses de la banque. Alors pourquoi la banque ? Elle avait réfléchi de façon encore très romanesque, l’influence de son père et de son enfance ne pouvaient que la rattraper un jour, mais pourtant sa façon de penser avait été très logique. Qui détient l’argent, détient le pouvoir, qui détient le pouvoir intéresse la Pègre. Elle espérait leur visite une fois qu’elle serait aux rênes de la plus importante banque de la ville. Inconsciente, très certainement ! Suicidaire peut-être même mais elle avait une soif d’aventure qui ne s’arrêterait pas aux risques. Elle voulait cette vie de risques, jouer avec le feu, être quelqu’un à tout prix ! C’était le but de toute son existence, pouvoir marquer d’une façon ou d’une autre l’histoire.

- Schenck, je suis déjà écrasé de travail, je ne pourrais pas faire porter ça à son terme.

Lovisa saisit le taureau par les cornes et sortit de l’ombre tapissée de la loge d’artiste.

- Mon père peut tout à fait vous seconder, monsieur Schenck. Fred Astaire a d’ors et déjà signé grâce à leur amitié de toujours pour cette nouvelle aventure. Il est enchanté.
- Quoi ? Mais de quoi je me mêle ?

La jeune femme s’attendait à cette réaction de la part de Mayer, mais justement elle jubilait de le voir acculé ainsi. Schenck avait vraiment son idée et paraissait s’y tenir. Lovisa lui offrait sur un plateau, un danseur et chanteur de talent et la solution à son problème, il ne pouvait pas refuser. Elle ne se trompait pas.

- Et bien voilà, que monsieur Schary devienne producteur et nous serons sauvés ! Il mérite un bon avancement depuis le temps ! Merci Lovisa pour cette idée !

Si Schenck quitta la loge avec un grand sourire de satisfaction, ce n’était vraiment pas le cas de Mayer. Il fixa Lovisa d’un regard haineux et s’approcha d’elle afin de l’agresser verbalement :

- Votre père n’aura pas mon poste, quoi que vous fassiez !
- Vous devriez dans ce cas faire davantage votre travail, monsieur Schenck a déjà été alerté que vous passiez votre temps à assister à des courses de chevaux. Tandis que mon père lui …

Mais elle ne put pas finir sa phrase, Louis Mayer était déjà dehors mais il l’avait entendue et ça lui suffisait. La guerre était ouverte mais elle savait qu’elle était sur le point de la gagner, l’autre avait trop déplu à son collaborateur. Alors à moins d’un miracle, ça ne pouvait être que bénéfique pour Dore Schary.

1949,

Et en effet, au cours des semaines précédentes pendant que son père brillait littéralemnet à son poste, Mayer aigri chutait de plus en plus dans la confiance de Schenck. L’année 1949 s’annonçait sous les meilleurs auspices autant pour elle que pour son père. Sans doute qu’elle lui réserverait aussi beaucoup de surprises puisqu’elle en avait espéré certaines et pas des moindres ! Non elle n'avait pas pesé tous les dangers et le seul qu'elle voyait pour l'instant, c'était son mariage. Elle n'avait rien contre l'institution en tant que telle, mais épouser un bourgeois qu'elle n'avait vu que deux fois pour les biens de sa banque, lui coûtait énormément. Elle avait accepté encore une fois pour que son nom soit quelque chose mais si seulement elle pouvait trouver un autre moyen avant que la date n'arrive, elle le ferait ... Advienne que pourra en cette année, Lovisa est prête à la vivre pleinement comme toujours. Impitoyablement ou de façon très romanesque, elle a plusieurs facettes, si vous pouvez la surprendre, elle le fera certainement aussi, c'est sûr.