Il était pressé, écrasé contre les barrières dressées afin de protéger la vedette. Lui, à Los Angeles. Du haut de ses 7 printemps, il bousculait, jouait des coudes, se faufilait. L’important étant de l’entrapercevoir, juste quelques instants. Son innocence le rendait aveugle au regard méprisant de ce qu’on appelle les gens ‘biens’, qui le toisaient, lui et ses souliers troués, lui et sa coiffure rebelle. Un petit des cités, qui s’était usé les pieds à marcher jusqu’au centre ville afin d’apercevoir son idole de jeunesse. ‘Que font les parents ?’ murmuraient certains, sans qu’il ne puisse l’entendre. Difficile de répondre. Il n’avait jamais connu son père. Pour être honnête, il n’était que la conclusion d’une sale soirée. Celle où sa prostituée de mère n’avait pas prit suffisamment de précaution, celle d’une passe qu’il s’était conclue bien rapidement. Epuisée par ses nuits passées les jambes écartées, sa mère dormait de l’aube au crépuscule. Laissant alors son petit Lukasz, prénommé ainsi en l’honneur des souches Polonaise de ses aïeux, livré à lui-même dans un monde pourtant hostile.
Les portes du casino s’ouvrirent à la volée, alors qu’un essaim d’homme aux costumes étincelants en jaillissaient et fendaient la foule. Lui, Harry Greb, vraie égérie du père que le gamin n’avait jamais eu, toisait la foule, adressant quelques sourires francs à ses acclamateurs. Lucasz bondissait sur place, le coup tendu vers la lune afin de mieux apercevoir son idole, dont il ne percevait que la masse informe des cheveux.
« Fous le camp, sale gosse », il fut projeté par l’homme sur lequel il était malheureusement tombé après un énième saut de cabri. Il s’écrasa sur la rambarde, qui s’effondra sous son poids et se retrouva étalé de tout son long, fasse à la nuée d’officiels qui entourait le boxeur. Un des garde du corps lui bondit dessus et le souleva rien qu’à la force des bras. Lukasz avait déjà les yeux clos, habitué à recevoir les coups des commerçants qui le soupçonnaient, à tort, de voler. Mais c’est une paume chaleureuse qui vint à masser ses cheveux plein d’épis. Lorsque ses paupières se rouvrirent, Harry s’était substitué au garde du corps et le regard, un demi-sourire aux lèvres.
Ils n’échangèrent pas de mot, rien qu’un simple regard, qu’un simple contact, qui retentissait d’ores et déjà dans le cœur de l’enfant comme le plus beau souvenir qu’il n’a jamais eut. Il avait la certitude qu’un jour, il serait comme cet homme. Acclamé par une ville, par un stade. Pantin de la ferveur ardente qui définit le ring.
Le chemin du retour qui lui avait paru durer une éternité à l’aller lui sembla comme une simple promenade au retour, les chevilles ailées, les prunelles constellées. Il se surprenait à chantonner, à s’émerveiller d’un monde qui jusqu’alors lui avait paru terne et pâle.
Il était dans le couloir miteux de son appartement tout aussi miteux lorsqu’il l’entendit, ce hurlement identifiable entre tous. Il pressa le pas, le souffle haletant d’angoisse. Il ouvrit les portes avec une telle force que les poignées s’enfoncèrent dans le marbre des murs. Quand il vit cet homme, couché sur sa mère qui se débattait avec véhémence, il ne cilla pas une seconde avant de se ruer sur l’agresseur. Il fut balancé sans ménagement sur l’armoire dans son dos, sans même que l’assaillant ne vrille. Assommé, sonné, il ne put qu’assister, impuissant à l’agression de sa mère. Avant de sombrer dans une inconscience de quelques heures, il se fit la promesse d’être plus fort. Afin de protéger ceux qu’il aime.
18 ans, et c’était seulement le second enterrement auquel il assistait. Les paupières basses, la mine fermée, il n’émanait de sa carrure imposante pas le moindre frisson, la moindre secousse de chagrin. Il y a 4 ans, il avait déjà enterré sa propre génitrice, littéralement métamorphosée après son agression. Lukasz était passé, à ses perles d’azur, de petit prince à véritable fantôme. Sa présence dans un cimetière en faisait la proie d’un véritable torrent de souvenir. Il avait 10 ans lorsque, littéralement ignoré par sa mère, il avait commencé à tremper dans les illégalités les plus anodines. Avant tout pour se payer de quoi s’inscrire dans un club de combat, puis l’appât du gain s’amplifiant, se muant en un foutu venin qui lui lapait les veines, il traina de plus en plus tard dans les ruelles au pied de son misérable appartement. Acheter, revendre. Toutes sortes de choses. L’âge avenant, la gravité de ses méfaits en était corrélée. De l’herbe, puis de la poudre. La maladie qui lui avait arrachée sa mère l’avait renforcé dans son adoption de la rue, et de ses bras aux allures de geôlier. A 18 ans, il jouissait déjà d’une petite notoriété à South Central.
Ceux qu’il enterrait, aujourd’hui, ne faisait pas partie de sa cellule affective. Pourtant, ils étaient un couple aux âmes profondément bonnes. Ils l’avaient recueilli, lui, le devenu orphelin, le pestiféré. De la mauvaise graine. Ils s’étaient targués d’une patience et d’une convivialité émouvante, louable. Et Luke s’en voulait, se blâmant de leur être redevable, d’être redevable à qui que ce soit. Quand il y repensait, il n’avait fait que causer foule d’arias à une famille qui n’avait tentée que de l’aider. Il disparaissait des jours entiers, était déscolarisé. Pire, il revenait le visage tuméfié, difforme par les dures lois des quartiers. Il revoyait les rides soucieuses qui se creusaient sur le front de cette famille chaleureuse.
Il renifla bruyamment, puis cracha sans ménagement au pied des chaussures cirées de son voisin. Le paradoxe était saisissant. Lorsque sa mère avait été mise en terre, dans un trou grossièrement creusé, ils étaient 4 à lui rendre un dernier hommage, il n’était qu’un adolescent au milieu de 3 putes. Présentement, la foule était si dense qu’il n’en voyait presque pas le bout. Les gens biens devenaient se reconnaitre aux nombres de personnes assistant à leurs obsèques. Qui aurait-il, aux siennes ?
« … Si sauvagement assassinés, et à leur fille, disparue, à qui nous destinons toutes nos prières ».
L’homme d’église avait terminé son speech indigeste et pénible, pour lequel il reçu que quelques sanglots et reniflements nauséeux. La présence de Lukasz n’avait pas été mentionnée. A vrai dire, en 4 ans sous le toit de cette famille, il ne s’était jamais senti à sa place. Les invités ne le regardaient pas, ne lui parlaient pas. C’est probablement ce qui lui avait sauvé la vie. Qu’ils se soient fait descendre par la mafia fut une vraie stupéfaction, tant la famille apparaissait modèle sous toutes coutures. Elle taisait vraisemblablement quelques secrets sous son masque de bienveillance imperfectible. L’entreprise lucrative du père ne l’était pas devenue honnêtement. De ce qu’en disait certain, la famille devenait un coquette somme à des personnes peu fréquentables, qui s’étaient visiblement lassés de l’attente. La disparition de leur fille unique, Brooklyn était celle qui bouleversait le plus l’assistance. Lukasz, derrière son faciès empreint de stoïcisme crispait sa mâchoire à l’idée de ce qu’on pouvait faire à cette gamine. Il réfutait avec vigueur l’étrange sentiment de souffrance qui perçait son cœur quand il repensait aux moments où la gamine riait aux éclats.
Pfuh, après tout. Il ne lui avait jamais témoigné la moindre trace d’affection. Il s’était montré grossier, blessant et glacial avec elle. Malgré tout, elle s’accrochait à lui, comme un koala à son bambou. Elle était une pile de délicatesse, une décharge de tendresse. Elle était la seule personne à ne pas le regarder différemment. Et dans le plus grand des mutismes, sans même qu’il n’en ait conscience, il l’aimait.
Il s’éclipsa du théâtre des peines, comme une ombre s’évapore à la tombée de la nuit. Il était seul, il n’était pas majeur, mais il devait désormais se débrouiller seul. Il n’écouterait guère davantage les mensonges que lui avaient susurrés les hommes qui disaient vouloir son bien, sa réussite. Il remontait la rue, les mains enfoncées au plus profond de ses poches, réunissant ses quelques économies douteuses. Une chance que dans l’immeuble les plus miteux de South Central, un loyer était la seule condition requise pour obtenir un toit.
Il cru d’abord que ce fut le fruit de son imagination, bien que sa garde et ses poings vigoureux se dressèrent d’instinct. Mais lorsqu’il entendit ce bruit une seconde fois, il se stoppa net. Il était suivi. Il fit craquer sa nuque, puis lâcha plein d’assurance.
« Vous seriez insolents de penser me descendre sans prendre quelques claques. »
Et elle s’extirpa des fourrés, le visage écorché, les pupilles affolées. Brooklyn, disparue depuis 3 jours se tenait là, droit, devant lui, toute chancelante. Elle fit un pas vers lui, il recula d’autant, les yeux écarquillés de stupeur. « Fous le camp, Brooklyn. Va chez les flics, moi je peux rien pour toi ». Elle s’arrêta, alors que l’écume venait aux flancs de ses paupières. Il restait inflexible. « Allez, casse toi ». Puis il tourna les talons, ignorant volontairement les désormais sanglots déchirants qui secouaient ce qui lui était le plus proche d’une famille, d’une sœur. « Ils m’auront… » Il pressa le pas. « Lukasz, ils m’auront. Tu es ma seule famille, ma seule protection ». Ses genoux le forcèrent à l’arrêt sur cette dernière palabre, happé par les bribes d’un souvenir lancinant. Celui où, 11 ans plus tôt, il s’était juré de protéger ses proches. Avait-elle réellement confiance en lui ? L’aimait-elle vraiment comme quelqu’un de sa famille ? Impossible. Personne ne lui avait jamais fait confiance. Jamais quelqu’un ne lui avait fait preuve d’amour.