Grand rassemblement de tout le bureau, jusqu’au dernier inspecteur du centre-ville, debout prêt à l’appel. La salle de briefing bourré jusqu’au plafond. Thad Green le chef des inspecteurs regardait sceptique le micro sur pied pendant que le chef de la brigade criminelle lui montrait comment ça marchait. En face d’eux les hommes qui se démangeaient l’envie d’y aller. Le micro retentit :

«Messieurs, vous savez pourquoi vous êtes ici, nous avons devant nous un crime révoltant qui exige une solution rapide et brutale. La presse et le public l’exigent de nous. Et c’est ce que nous allons leur offrir. Dans la nuit de Jeudi à Vendredi, Lynn Haven, une jeune femme a été kidnappée à son domicile et retrouvé morte dans ce terrain vague sur Norton dès le lendemain matin. Le coroner est en train d’examiner le cadavre, mais pour l’instant il a juste retrouvé des empreintes de doigts gantés de caoutchouc. Ceux d’entre vous qui ont assisté à l’autopsie savent que nous avons affaire à un furieux complétement sauvage. »

Une dizaine de flics prenaient des notes, le sergent Sonny Bowen se tenait indolent et baillait sans tenir de calepin, rien à faire de cette foutus histoire, j’ai déjà mes enquêtes.

« Nous allons établir 50 équipes de 2 hommes qui prendront chacun un quartier particulier pour enquêter pendant les 2 ou 3 prochaines semaines. Soyez diligent messieurs et QUE LA FORCE PARLE ! N’oubliez pas que si vous alpaguez témoins et suspects solides, vous devez les amener au poste de Newton ou celui de Wilshire, voir celui d’Alvarado, le lieutenant Considine sera chargé des interrogatoires. Bien voici les équipes. Nash avec Miller, Klein avec Lunceford, Millard avec Vincennes, Davey avec McNeil, Bowen avec Stappelton… »

Sonny s’étira et se tira de la salle en même temps que tous ceux qui avaient entendus leur affectation au fur et à mesure. Que la force parle ? Voilà autre chose ! Il revint vers son bureau du poste d’Hollywood. Il marcha entre les bureaux de la salle de revue où tous les bleus étaient en train de taper les rapports à la machine à écrire en tapant sur les touches avec un seul doigt et en cherchant les bonnes lettres. Il tomba sur le sergent Mike Breuning tout sourire :

« Sonny, petit con, tu m’en dois une ! »

« Voilà autre chose. »

« T’as fait le pari qu’ils te mettraient avec un gros dur de la brigade des mœurs pour que tu te tiennes tranquille mais finalement ils t’ont foutus avec Clark ! »

« C’est qui ? Un type en uniforme qui cravate les obsédés qui harcèle les putes rue de la dèche ? Si c’est le cas il va être content vu que la force doit parler d’après le chef.»

« Du tout, ni des moers, ni de la répression des vols, mais des patrouilles, le capitaine devait penser qu’il te fallait un type intelligent avec toi, vu que niveau ciboulot t’es à la ramasse mon vieux. »

Sonny tourna la tête et aperçut des flics attroupés autours du panneau d’affichage. Il regarda par-dessus leurs épaules et vit un dessin humoristique. Mickey Cohen, crocs sortit et kippa sur le crâne était en train de se faire lécher les pieds par un flic dont les poches débordaient de billets verts. La bulle dans la bouche de Cohen disait : « Souris mon joli ! Mickey C te refile ça avec ses compliments ! »

Sonny s’esclaffa, encore un petit idéaliste qui se foutait de la tête des corrompus du service en laissant un dessin à la vue de tous. Il profita que tout le monde était attroupé pour lancer :

« Stappelton est ici ? L’agent Stappelton quelqu’un le connais ? Si quelqu’un le voit, il pourrait me le signaler ? Merci d’avance. »

Aujourd’hui, il rentrerait chez lui moins frustré que d’habitude. Clark n’était pas un mauvais flic. N’ayons pas peur des mots, il était même bon – du moins en donnait-il l’illusion vu qu’il ne s’était jamais fait prendre avec ses petites enveloppes ! Mais pour une raison qui échappait à tout le monde, y compris à ses supérieurs, tous ses amis étaient déjà montés en grade. Toute sa promotion de départ, ils étaient déjà en costume, et lui restait un agent en uniforme. Green lui avait déjà dit en riant qu’il ne comprenait pas pourquoi il en était toujours là, que les hauts-gradés avaient dit pareil : « tiens le petit Stappelton, il faudrait lui donner une promotion à l’occasion ! » mais ils oubliaient visiblement à chaque fois de saisir l’occasion. Clark aimait à penser que si cela faisait rire Green, c’était plus par fierté pour son bon mot qu’à cause du pathétique de la situation. Ladite situation avait au moins le mérite de lui retirer ses scrupules quand il fermait les yeux sur telle ou telle affaire.

Mais bon, il y avait des jours comme aujourd’hui où on le mettait en binôme avec un inspecteur pour qu’il participe à une enquête, signe que le chef reconnaissait au moins son talent et ne voulait pas le laisser en reste, tout ça parce qu’il était victime du manque de logique de l’administration. A chaque fois, on lui avait fait le coup de le coller avec un petit jeune tout juste sortit de l’école mais bombardé inspecteur pour tel ou tel exploit mérité ou non et qui se la jouait comme si Clark avait tout à apprendre de lui. Mais ça, Clark pouvait encore le supporter : il trouvait ça attendrissant. Ça lui rappelait l’armée, quand les nouvelles recrues débarquaient en voulant à tout prix expliquer à ceux qui étaient là depuis un moment tout ce qu’ils avaient appris en formation. Clark aimait voir les gens dans cette situation : quand ils sont encore persuadés que le savoir nouvellement acquis va les aider à changer le monde. C’était une autre raison qui faisait qu’il était heureux quand on lui annonçait qu’il allait participer à une véritable enquête. Et c’était tout de même quelque chose d’arriver à ce résultat : depuis son retour de la guerre, Clark avait beaucoup de mal à trouver de l’intérêt pour quoi que ce soit et encore moins de l’amusement. Tout lui semblait banal, sans importance.

Et puis ce matin, Green lui avait fait signe au moment où il était arrivé :

- Tu vas être sur l’affaire Haven, tu sais, la fille qui a été kidnappée ? Ben on a retrouvé son cadavre ! Prépare-toi ! Tu emmèneras un sergent en patrouille !

Clark remercia son chef d’un signe de tête tandis que celui-ci se rendait dans la salle de briefing où il allait informer les inspecteurs, tous ses anciens camarades de promotion. Lui, il n’avait pas le droit d’assister à leurs réunions. Il se remémora rapidement ce qu’on lui avait dit sur le meurtre de cette pauvre fille quand il entendit des éclats de rire qui venaient du panneau d’affichage. Rejoignant ses collègues qui y étaient déjà, il vit qu’ils s’amusaient devant une caricature de Mickey Cohen. Il se força à rire avec eux mais le cœur n’y était pas vraiment. Le rire ne lui était plus du tout naturel depuis l’Europe.

- Il serait pas content le Cohen s’il voyait ça ! rigola l’agent Miller en prenant des airs bravaches.

Clark soupira : ils étaient, du moins pour la plupart, si jeunes et si inexpérimentés. Ils n’étaient que quelques-uns à être encore simples agents à son âge mais les autres s’en fichaient un peu.

- Stappelton est ici ? L’agent Stappelton quelqu’un le connais ? Si quelqu’un le voit, il pourrait me le signaler ? Merci d’avance.

Le concerné se retourna en fronçant les sourcils pour se retrouver face à un inspecteur, sûrement celui avec qui il devrait faire équipe. Eh bien, pour une fois, il n’était pas face à un jeunot à qui il devrait tout expliquer. Il était de toute évidence légèrement plus âgé que lui et dégageait une certaine assurance.

- C’est moi, Stappelton ! balança-t-il tout d’abord, avant de se reprendre. Agent Clark Stappelton, au rapport !

En général, ce genre de cérémonie inutile plaisait aux gradés chevronnés en général ! Seulement, avec lui, Clark devrait faire attention et ne pourrait pas inventer une excuse pour aller chercher ses petits « cadeaux » pendant le service. Et il ne pourrait pas se permettre de prendre un ton paternel pour lui dire d’oublier le manuel et ensuite, lui expliquer comment se déroule une véritable enquête. Bon ben, les choses seraient différentes sur cette affaire-ci, voilà qui allait lui permettre de tromper son ennui.

- Nous commençons tout de suite, monsieur ? demanda-t-il sans un regard pour les autres agents qui continuaient à ricaner bêtement dans leur coin.